Comparons l’étude de cas “Moulins Pères, Moulins Filles, Moulins Fils” avec l’expérience du mouvement ORAP au Zimbabwe, en mettant en lumière les points communs et les différences de leurs approches de financement local et de développement. Nous examinerons ensuite les défis potentiels de la réplication du modèle des moulins et proposerons des stratégies pour les atténuer.
Le mouvement ORAP (Organisation of Rural Associations for Progress) au Zimbabwe est présenté dans les sources comme une “stratégie paysanne d’autonomie financière”. Son objectif principal était de renforcer l’autonomie financière des communautés rurales et de leurs organisations.
- Approche de Financement Local : ORAP s’est activement engagé dans la mobilisation des ressources locales comme pilier de son financement. L’accent a été mis sur “l’effort propre” des communautés. Une initiative novatrice a été la tentative d’ORAP, en 1993, de renforcer son autonomie financière en entrant en contact avec le secteur privé. Une opportunité s’est présentée avec la vente de la filiale zimbabwéenne de Lucas Batteries (Pvt) Ltd., dont le capital était entièrement étranger. ORAP a cherché à acquérir cette entreprise, reconnaissant que, selon la loi zimbabwéenne, une partie du prix de vente devait être payée en monnaie étrangère, ce qui avait diminué la valeur de l’entreprise sur le marché local. Bien que l’acquisition directe ne soit pas explicitement détaillée comme un succès immédiat dans cet extrait, cela illustre une approche audacieuse de mobilisation de capitaux au-delà des cotisations communautaires traditionnelles, en cherchant des opportunités dans le secteur privé.
- Stratégies de Développement : L’approche d’ORAP semble plus large que celle des groupements NAAM, visant à l’autofinancement de l’organisation elle-même pour soutenir divers projets de développement au sein des communautés rurales. La “création d’entreprises” et les “projets générateurs de revenus” (hardware, garage, ranch, etc.) étaient des éléments clés de cette stratégie, visant à générer des revenus pour l’autofinancement d’ORAP. L’objectif était de passer d’une dépendance à l’aide désaffectée à un système d’autofinancement durable. ORAP est cité comme un exemple de “mouvements populaires en action” dans plusieurs pays du monde, aux côtés d’initiatives comme le mouvement paysan FONGS au Sénégal et les habitants des bidonvilles de Bombay.
POINTS COMMUNS ENTRE “MOULINS PÈRES” ET ORAP #
- Priorité à l’Autonomie Financière et à l’Effort Propre : Les deux initiatives mettent en avant la nécessité pour les communautés locales de prendre en main leur développement et de ne pas dépendre uniquement de l’aide extérieure [82, notre conversation précédente]. Le “Moulin Père” est financé par les cotisations villageoises, et ORAP cherche activement des moyens d’autofinancement à travers la création d’entreprises [notre conversation précédente, 82]. “Il n’y a pas de développement sans d’abord un effort propre”.
- Mobilisation des Ressources Locales : Les deux exemples illustrent la capacité des communautés à mobiliser leurs propres ressources, qu’il s’agisse de cotisations communautaires pour les moulins [notre conversation précédente] ou de l’engagement dans des projets générateurs de revenus pour ORAP. “Plus qu’on ne le croit, l’épargne africaine n’est pas négligeable”.
- Réponse à des Besoins Locaux : Le projet des moulins répond au besoin crucial de réduire la pénibilité du pilage du mil pour les femmes [notre conversation précédente], tandis qu’ORAP vise à soutenir plus largement les initiatives de développement au niveau des communautés rurales.
- Potentiel de Réplication et d’Échelle : Le concept des “Moulins Fils et Filles” implique une réplication progressive au sein de la communauté [notre conversation précédente]. ORAP, en tant que mouvement regroupant plusieurs associations, a également un potentiel d’impact à une échelle plus large. “Ces exemples sont à démultiplier et à renforcer”.
DIFFÉRENCES ENTRE “MOULINS PÈRES” ET ORAP #
- Mécanisme de Financement Spécifique vs. Stratégie Organisationnelle : Le modèle des moulins repose sur un mécanisme de financement rotatif très spécifique pour l’acquisition d’un bien précis [notre conversation précédente]. ORAP adopte une stratégie plus large visant à l’autofinancement de l’ensemble de l’organisation à travers diverses activités économiques.
- Échelle et Portée des Activités : L’initiative des moulins se concentre sur un besoin spécifique au niveau villageois [notre conversation précédente]. ORAP a une portée plus vaste, englobant potentiellement divers secteurs d’activité et un réseau d’associations rurales.
- Niveau d’Engagement avec le Secteur Privé : Bien que les deux approches mettent l’accent sur les ressources locales, l’initiative ORAP semble explorer plus activement l’engagement avec le secteur privé à une échelle importante (tentative d’acquisition de Lucas Batteries) comme moyen de renforcer son autonomie financière. Le modèle des moulins repose principalement sur la solidarité et les contributions communautaires initiales [notre conversation précédente].
- Vulnérabilité aux Facteurs Externes : L’initiative des moulins, une fois établie, pourrait être plus directement affectée par des facteurs locaux (gestion du moulin, conflits communautaires) [notre conversation précédente]. ORAP, en tant qu’organisation plus vaste, pourrait être confrontée à des défis macroéconomiques et politiques plus complexes, comme illustré par le contexte économique difficile au Zimbabwe mentionné lors de la tentative d’acquisition.
DÉFIS POTENTIELS DE LA RÉPLICATION DU MODÈLE “MOULINS PÈRES, MOULINS FILLES, MOULINS FILS” DANS D’AUTRES CONTEXTES #
- Niveau de Cohésion Sociale et de Confiance Communautaire : Le succès du fonds rotatif repose fortement sur la confiance mutuelle et la solidarité au sein de la communauté [notre conversation précédente]. Dans des contextes où le tissu social est plus fragile ou marqué par des divisions, le remboursement des contributions et la gestion collective pourraient être plus difficiles à assurer. “Le système des tontines a cependant ses limites. L’épargne sert la plupart du temps à financer des dépenses sociales et donc non productives”.
- Capacité de Gestion et de Comptabilité Locales : Une gestion transparente et responsable du fonds rotatif et des revenus générés par les moulins est essentielle [notre conversation précédente]. Dans des communautés où les compétences en gestion et en comptabilité sont limitées, un accompagnement et une formation pourraient être nécessaires pour assurer la pérennité du système. “L’expérience a montré que la formation était une composante essentielle des prêts de montant modeste et que cette formation ne pouvait être financée au moyen du capital de prêt”.
- Durabilité Économique de l’Activité du Moulin : La capacité du “Moulin Père” à générer des revenus suffisants pour permettre l’acquisition de nouveaux moulins dépend de la demande pour ce service et du prix pratiqué [notre conversation précédente]. Des facteurs tels que la disponibilité d’alternatives moins chères, les fluctuations des prix des céréales ou des coûts de maintenance du moulin pourraient impacter la viabilité économique du système.
- Adaptabilité à Différents Besoins et Contextes : Le modèle des moulins répond à un besoin spécifique lié à la transformation des céréales. Sa réplication directe à d’autres besoins (accès à l’eau, soins de santé, etc.) pourrait nécessiter des adaptations importantes du mécanisme de financement et de gestion.
- Potentiel de Conflits et de Jalousies : La distribution des bénéfices et l’attribution des nouveaux moulins pourraient potentiellement générer des tensions ou des jalousies au sein de la communauté si les critères ne sont pas clairs et perçus comme équitables.
- Influence des Structures de Pouvoir Locales : Les élites locales ou les structures de pouvoir traditionnelles pourraient tenter de s’approprier ou de contrôler le système à leur avantage, compromettant ainsi son objectif initial de bénéficier au plus grand nombre.
CONCLUSION #
En conclusion, bien que le modèle “Moulins Pères, Moulins Filles, Moulins Fils” et l’expérience d’ORAP au Zimbabwe partagent une vision commune de l’autonomie financière et de la mobilisation des ressources locales, ils diffèrent dans leurs mécanismes spécifiques et leur échelle d’intervention. La réplication du modèle des moulins dans d’autres contextes nécessitera une prise en compte attentive des spécificités locales et la mise en place de stratégies pour renforcer la cohésion sociale, les capacités de gestion et la durabilité économique, tout en veillant à une gouvernance transparente et à une adaptation contextuelle du modèle.