INTRODUCTION #

En parcourant les précieuses publications produites par l’IRED au fil des ans, véritables mines d’enseignements sur le financement alternatif, il m’a semblé essentiel d’en extraire la sève pour nourrir notre réflexion collective, particulièrement en ces temps incertains où l’autonomie n’est plus une option mais une nécessité vitale. Ces écrits, fruits d’années d’expériences et d’analyses, pointent avec une clarté parfois brutale les défis auxquels nous sommes confrontés, mais esquissent surtout des pistes d’action concrètes.

Dans la lignée de nos échanges récents et pour contribuer à la dynamique que nous souhaitons impulser, je vous propose ici une relecture de ces enseignements. Je reviendrai d’abord sur le constat implacable de l’impasse du modèle actuel (Section 1). J’aborderai ensuite le véritable enjeu : comment bâtir, pierre par pierre, cette autonomie financière tant recherchée (Section 2). Puis, je présenterai les “armes” – les outils et instruments – à notre disposition pour mener ce combat pacifique pour l’indépendance (Section 3). Enfin, je soulignerai les conditions indispensables, la rigueur et l’éthique nécessaires pour que nos efforts portent leurs fruits et mènent à la victoire (Section 4).

1- LE CONSTAT : LA FAILLITE D’UN SYSTÈME ET L’URGENCE D’UN “AUTRE DÉVELOPPEMENT” #

Soyons lucides : les publications de l’IRED dressent un réquisitoire sévère contre le modèle de financement dominant. L’aide extérieure, telle qu’elle est souvent pratiquée, est mise sur la sellette. Qualifiée parfois d’”aide-cadeau”, elle est accusée, à juste titre me semble-t-il, non seulement de “[tuer] l’initiative” mais pire, de “[perpétuer] la dépendance” (Financer Autrement, p. 57). Comment construire l’avenir sur un système qui, fondamentalement, ne favorise pas la “création de capital/réserve, élément moteur de l’augmentation des ressources d’autofinancement” (Financer Autrement, p. 51) ?

Le constat est là, implacable : on “continue à réclamer une augmentation de l’autofinancement, mais [on n’en donne] pas les moyens” (Financer Autrement, p. 49). Face à cette contradiction flagrante, l’appel à un “autre développement” résonne avec force. Un développement endogène, participatif, porté par les “leaders paysans, artisans, pêcheurs, éleveurs, femmes et hommes engagés dans la lutte” (Financer Autrement, p. i) au cœur de leurs communautés.

Cet autre développement ne peut advenir sans un “nouveau partenariat” (Financer Autrement, p. 407). Il ne s’agit pas d’une simple réorganisation cosmétique, mais d’une transformation profonde des attitudes et des pratiques de tous les acteurs : organisations du Sud et du Nord, gouvernements, entreprises, chercheurs, banques et même l’aide internationale elle-même (Financer Autrement, Chapitre IX). Il faut oser repenser les relations pour que les voix locales puissent “mieux s’exprimer” (Financer Autrement, p. 7) et co-construire leur avenir.

2- LE VÉRITABLE ENJEU : BÂTIR L’AUTONOMIE PIERRE PAR PIERRE #

Face à ce constat, l’objectif stratégique est clair : conquérir notre autonomie financière. Mais comment ? Les écrits de l’IRED nous montrent la voie, non pas celle de la facilité, mais celle de la construction patiente et méthodique. Il ne s’agit pas seulement de trouver de l’argent, mais de répondre à des besoins multiples, financiers certes (pour les activités, l’appui, la formation, les frais institutionnels – Financer Autrement, p. 31), mais aussi non financiers, notamment en “formation de leur personnel et à la création de bureaux d’études compétents” (Financer Autrement, p. 30) pour maîtriser la gestion et le risque.

La clé réside dans une stratégie volontariste, loin de la passivité ou de l’attentisme :

  • Mobiliser les ressources locales : C’est le point de départ incontournable. Faire l’”inventaire des ressources physiques”, humaines et financières, internes et locales (Financer Autrement, p. 63-68), grâce à des outils comme l’”inventaire villageois” (Financer Autrement, p. 104). Commencer par “ne [compter] que sur soi (cotisations, efforts propres, travail, etc.)” (Manuel de Gestion Pratique-Tome2, p. 25) est souvent la démarche la plus saine.
  • Développer des activités économiques rentables : Oser l’entrepreneuriat ! Créer des “entreprises […] par les ONG/OO” (Financer Autrement, p. 84) pour générer des revenus propres et réinvestir dans la mission sociale. Bien sûr, cela demande une analyse rigoureuse de la viabilité (Financer Autrement, p. 73).
  • Mieux gérer et négocier l’aide (pour s’en défaire !) : Tant que l’aide est là, il faut “savoir mieux négocier” et surtout “savoir mieux gérer l’aide existante” (Financer Autrement, p. 99-100). L’objectif ? Utiliser cette aide pour “financer l’infinançable” et surtout, pour “constituer des réserves” (Manuel de Recherche de Financement, p. 110, p. 165).
  • Planifier la fin de l’aide : C’est peut-être le point le plus crucial et le moins pratiqué. Il faut oser “planifier la fin de l’aide” (Manuel de Gestion Pratique-Tome2, p. 25) pour ne pas rester éternellement dépendant.
  • Constituer des réserves et un capital propre : C’est le nerf de la guerre de l’autonomie. Se concentrer sur la capacité à “constituer des réserves et un capital propre, à le placer pour qu’il rapporte des intérêts” (Manuel de Recherche de Financement, p. 165). Sans capital propre, la dépendance est inévitable.

3- LES ARMES DE L’AUTONOMIE : OUTILS ET INSTRUMENTS À MOBILISER #

Face à la frilosité des banques commerciales traditionnelles qui “ne prêtent qu’aux riches” (Manuel de Gestion Pratique-Tome2, p. 27), les publications de l’IRED nous révèlent une panoplie impressionnante d’outils et d’instruments financiers alternatifs, souvent issus de la créativité locale ou adaptés à nos contextes. Ce sont là nos véritables “armes” pour conquérir notre indépendance financière :

  • La mobilisation de l’épargne locale : Reconnaître et valoriser toutes les formes d’épargne, de la “thésaurisation” aux “banques de céréales”, des dynamiques “tontines” (Financer Autrement, p. 124) aux “caisses d’épargne et de crédit” mutuelles (Financer Autrement, p. 109-132). L’épargne est le socle !
  • Les mécanismes d’accès au crédit adaptés : Multiplier les initiatives comme les “banques des femmes”, les “caisses villageoises”, les “boutiques de prêts” (Financer Autrement, p. 165-173) et explorer des systèmes d’”assurance risque crédit” (Financer Autrement, p. 201-208).
  • La prise de participation au capital : Une voie audacieuse pour soutenir des entreprises locales tout en générant des revenus pour l’organisation (Financer Autrement, p. 215-227), à l’image de la SIDI (Financer Autrement, p. 219).
  • Les systèmes de garantie : Utiliser les garanties traditionnelles, mais aussi développer des fonds de garantie locaux ou internationaux (Financer Autrement, p. 228-255), comme la “GARANTIE bancaire” de RAFAD (Renforcer l’Autonomie Financière, p. 2), pour ouvrir les portes du crédit bancaire.
  • Les structures pérennes : Envisager la création de “Trusts, fonds et fondations” pour assurer un auto-financement sur le long terme (Financer Autrement, p. 256-267).
  • Les instruments financiers spécifiques : Développer du “capital risques”, du “capital/promotion”, des “institutions financières intermédiaires” ou des “fonds/capitaux” dédiés (Financer Autrement, p. 269-342), en s’inspirant d’expériences comme celle d’ORAP au Zimbabwe (Financer Autrement, p. 343-347).
  • Les opportunités “alternatives” : Explorer les “fonds de contrepartie du rachat de dette” (debt swaps), les “block funds”, les “Programme Related Investments” (PRI) ou les fonds issus de la vente d’aide alimentaire (Financer Autrement, Chapitre VIII).

Cette diversité d’outils montre qu’il n’y a pas de solution unique, mais un éventail de possibilités à adapter et à combiner intelligemment.

4- CONDITIONS DE LA VICTOIRE : RIGUEUR, COMPÉTENCE ET ÉTHIQUE #

Posséder les bonnes stratégies et les bons outils ne suffit pas. Pour que la quête d’autonomie aboutisse, pour que la “victoire” soit durable, des conditions strictes doivent être remplies. Les manuels pratiques de l’IRED insistent lourdement sur ces aspects, et ils ont raison. Ce sont les fondations de notre crédibilité et de notre efficacité :

  • Compétence et capacité institutionnelle : Il est impératif de renforcer nos capacités internes en gestion financière, suivi, évaluation (Financer Autrement, p. 354). Sans compétences solides, les meilleures intentions échouent.
  • Rigueur de gestion absolue : La gestion financière doit être irréprochable. Planification budgétaire (“Aucun dépassement n’est autorisé” – Nouveau Manuel de Gestion, p. 170), tenue des registres, suivi des stocks et amortissements (Manuel de Gestion Pratique-Tome2), distinction claire des rôles (caissier/comptable – Nouveau Manuel de Gestion, p. 170). La rigueur n’est pas une option, c’est un devoir.
  • Contrôle démocratique et éthique : L’argent ne doit pas corrompre. Des mécanismes de contrôle démocratique internes sont essentiels (Financer Autrement, p. 357). De plus, les placements financiers éventuels doivent être guidés par des principes éthiques clairs (Financer Autrement, p. 362), à l’image de la Banque Alternative Suisse (Financer Autrement, p. 363).
  • Clarté juridique et fiscale : Il faut sécuriser nos initiatives en clarifiant leur statut juridique et en maîtrisant les aspects fiscaux (Financer Autrement, p. 359).
  • Partenariats stratégiques : Le choix des partenaires financiers est crucial (Financer Autrement, p. 361). La collaboration et la mise en réseau avec d’autres organisations sont également une force (Financer Autrement, p. 370).
  • Suivi et évaluation orientés impact : Savoir ce que l’on fait est bien, mesurer l’impact réel est mieux. Définir des “critères” et des “indicateurs” clairs est nécessaire (Manuel de Gestion Pratique-Tome1, p. 18).

CONCLUSION : L’HEURE DE L’ACTION A SONNÉ #

La convergence des analyses issues des différentes publications de l’IRED est sans appel : une transformation profonde du financement de nos organisations est non seulement souhaitable, mais vitale. L’autonomie financière, loin d’être une utopie, est à notre portée si nous mobilisons collectivement notre intelligence, notre énergie et notre créativité.

Les stratégies existent, les outils sont là, les conditions de succès sont connues. Il nous appartient maintenant, à nous, acteurs engagés sur le terrain, de passer résolument à l’action, de nous approprier ces savoirs, de les adapter, de les mettre en œuvre avec rigueur et détermination. La constitution de notre force, comme évoqué dans nos discussions sur la base du papier de Fernand Vincent, passe aussi par cette conquête de notre souveraineté économique et financière. C’est un chantier immense, mais exaltant, et essentiel pour l’avenir d’un développement réellement maîtrisé par les Africains pour les Africains.

Réinventons nos modèles, mutualisons nos forces, et bâtissons ensemble cette autonomie qui nous permettra de faire la différence durablement.

Douala, le 2 Avril 2025.

Paul Gabriel FOLEU

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Updated on 16 avril 2025