Quels sont les principaux cadres conceptuels et les définitions opérationnelles utilisés dans la littérature pour appréhender l’autonomie stratégique des ONG/OSC africaines, et quelles sont les tensions ou débats identifiés autour de ce concept ?
La littérature scientifique et opérationnelle utilise plusieurs cadres conceptuels et définitions opérationnelles pour appréhender l’autonomie stratégique des ONG/OSC africaines, et plusieurs tensions ou débats entourent ce concept.
PRINCIPAUX CADRES CONCEPTUELS ET DÉFINITIONS OPÉRATIONNELLES #
- Autonomie comme caractéristique définissante : Le concept fondamental est que l’autonomie est une caractéristique intrinsèque d’une ONG. Selon cette perspective, une organisation ne peut être qualifiée d’ONG si elle est sous la tutelle ou le contrôle effectif d’un gouvernement. Cette définition de base met l’accent sur l’indépendance organisationnelle vis-à-vis de l’État.
- Autonomie stratégique liée à la vision et à la mission : L’autonomie stratégique est implicitement liée à la capacité d’une ONG à définir sa propre vision de la société et à être guidée par des enjeux plus larges, plutôt que de se concentrer uniquement sur des questions ponctuelles et quotidiennes. Le manque de vision et de mission claires est identifié comme une difficulté pour les ONG à articuler leur rôle et leur fonction de manière autonome.
- Autonomie programmatique à travers la facilitation : Un cadre conceptuel important remet en question le rôle traditionnel des ONG en tant qu’implémentateurs directs de leurs propres programmes. Au contraire, il est argumenté que les ONG devraient plutôt se concentrer sur la facilitation des programmes durables initiés par les communautés elles-mêmes dans les domaines économique, politique et social. Cette approche met en avant l’autonomie des communautés et le rôle de l’ONG comme créatrice d’espace pour l’action locale, plutôt que comme acteur principal de la mise en œuvre. L’autonomie programmatique se manifeste ici dans la capacité de l’ONG à soutenir l’action d’autres acteurs plutôt que d’imposer ses propres programmes.
- Autonomie financière comme fondement de l’indépendance : La capacité d’une ONG à sécuriser un financement fiable à partir de sources diversifiées est cruciale pour maintenir son indépendance organisationnelle et sa capacité à produire un travail de qualité de manière constante. La dépendance excessive au financement de projets à court terme provenant de donateurs étrangers est identifiée comme une menace à l’autonomie, car elle peut compromettre la capacité d’investir dans les activités de base, de maintenir l’indépendance de la recherche et d’assurer la stabilité financière à long terme. L’exploration de modèles de financement alternatifs et de partenariats est donc un élément clé de l’autonomie stratégique.
- Autonomie opérationnelle dans un contexte politique et juridique donné : L’autonomie stratégique est également influencée par le contexte politique et juridique dans lequel les ONG opèrent. La rigidité des systèmes juridiques et politiques peut constituer un obstacle à la participation et à l’autonomie des OSC. De plus, la suspicion ou l’hostilité des gouvernements africains envers les institutions indépendantes de la société civile oblige les ONG à développer des stratégies de communication prudentes pour présenter leurs conseils politiques comme un soutien constructif plutôt qu’un défi à l’autorité.
TENSIONS ET DÉBATS AUTOUR DU CONCEPT #
- Facilitation versus Implémentation : Il existe un débat sur le rôle optimal des ONG du Sud. Alors que certains soutiennent que les ONG sont des implémentateurs de services à travers leurs propres programmes, d’autres, comme Fowler, argumentent que leur rôle principal devrait être la facilitation pour créer un espace où les communautés peuvent agir et développer leurs propres solutions durables. La tension réside dans la manière dont les ONG peuvent réellement construire des compétences et des capacités locales si elles sont principalement engagées dans la mise en œuvre directe, ce qui risque de minimiser le sentiment d’appropriation par la communauté et de bloquer le potentiel d’action des populations.
- Dépendance financière versus Indépendance : La dépendance au financement externe est une préoccupation majeure qui menace l’autonomie des ONG africaines. La tension se situe entre la nécessité de ressources financières pour mener à bien les programmes et le risque que ces ressources, en particulier lorsqu’elles sont liées à des projets spécifiques et à des donateurs avec leurs propres agendas, n’entravent la capacité des ONG à définir et à poursuivre leurs propres priorités stratégiques et de recherche. Le modèle traditionnel de financement axé sur les projets et les secteurs en Afrique subsaharienne a été reconnu par les bailleurs de fonds eux-mêmes comme ayant indirectement miné la capacité des institutions régionales.
- Coopération versus Cooptation : Les ONG opèrent souvent en partenariat avec les gouvernements et d’autres acteurs. Cependant, il existe une tension entre la nécessité de coopération pour avoir un impact et le risque de cooptation par des agences gouvernementales ou l’opposition politique, en particulier dans les régimes non compétitifs et les nouvelles démocraties. L’acceptation de postes ou de contrats par des dirigeants d’ONG peut créer des perceptions de partialité et compromettre l’autonomie et la crédibilité de l’organisation auprès du public. De même, le financement par des donateurs spécifiques peut entraîner le risque de devenir des agents pour la promotion de leurs intérêts politiques.
- Vision à long terme versus Gestion quotidienne : Un autre débat porte sur la capacité des ONG à développer et à maintenir une vision stratégique à long terme face aux pressions de la gestion des activités quotidiennes et de la recherche constante de financement. Le manque de temps consacré à la définition de la vision dans le contexte socio-économique global de leurs sociétés est un défi qui entrave leur capacité à articuler leur rôle de facilitation de manière autonome.
En résumé, l’autonomie stratégique des ONG/OSC africaines est appréhendée à travers leur indépendance organisationnelle, leur capacité à définir et à suivre leur propre vision et mission, leur rôle dans la facilitation de l’action communautaire plutôt que dans la mise en œuvre directe, et leur capacité à sécuriser des financements diversifiés pour assurer leur durabilité. Les tensions et débats clés tournent autour du rôle optimal des ONG, de l’équilibre délicat entre la dépendance financière et l’indépendance, des défis de la coopération sans cooptation, et de la nécessité de concilier la gestion quotidienne avec le maintien d’une vision stratégique à long terme.