Contexte Général : Défis de l’Autonomie Financière pour les ONG Africaines

Les Organisations Non Gouvernementales (ONG) jouent un rôle indéniable dans le développement socio-économique du continent africain, intervenant dans des domaines cruciaux tels que la santé, l’éducation, la sécurité alimentaire et la réponse aux urgences. Cependant, leur capacité à opérer de manière durable et autonome est souvent entravée par des défis financiers systémiques. Une dépendance excessive vis-à-vis des bailleurs de fonds externes, majoritairement internationaux, caractérise le paysage financier de nombreuses ONG africaines.1 Cet état de fait les expose à la volatilité des flux d’aide, aux changements de priorités des donateurs et à une concurrence accrue pour des ressources limitées.3 L’accès restreint aux mécanismes de financement traditionnels, tels que les prêts bancaires, complique davantage leur planification financière.1

Au-delà de la simple disponibilité des fonds, les modalités mêmes du financement posent problème. La prédominance des financements à court terme et/ou spécifiquement alloués (“earmarked”) entrave la capacité des ONG à planifier sur le long terme, à investir dans leurs structures internes, à retenir du personnel qualifié et à développer des stratégies d’impact durable.6 Cette approche peut conduire à des interventions fragmentées, qualifiées de “ponts menant nulle part” par certains acteurs du secteur, plutôt qu’à la construction de bases solides pour la résilience communautaire.6 Des critiques émergent également quant à la durabilité intrinsèque des modèles entièrement dépendants de l’aide extérieure et à la capacité de ces modèles à favoriser une véritable autonomie des communautés.4

Face à ces contraintes, l’entrepreneuriat social (ES) émerge comme une stratégie alternative ou complémentaire prometteuse pour les ONG africaines cherchant à renforcer leur autonomie financière et leur impact.9 L’entreprise sociale, dans ce contexte, se définit par sa double mission : générer un impact social ou environnemental positif tout en poursuivant une activité économique génératrice de revenus.9 Ces revenus sont ensuite majoritairement réinvestis pour soutenir la mission sociale de l’organisation, créant ainsi un potentiel cycle d’autofinancement et réduisant la dépendance aux subventions et dons traditionnels.10

  • Présentation de l’Étude de Cas : ForAfrika

ForAfrika, anciennement connue sous le nom de Joint Aid Management (JAM), constitue une étude de cas particulièrement pertinente dans ce domaine. Reconnue comme la plus grande organisation humanitaire et de développement dirigée par des Africains 12, ForAfrika a explicitement intégré l’entrepreneuriat social au cœur de sa stratégie pour atteindre ses objectifs de transformation à long terme.17

Ce rapport vise à examiner de manière approfondie l’approche d’entrepreneuriat social adoptée par ForAfrika. Il analysera le contexte organisationnel qui a mené à cette transition, détaillera le(s) modèle(s) d’ES mis en œuvre, évaluera leur impact sur la durabilité financière de l’ONG et leur alignement avec sa mission principale. En outre, il identifiera les facteurs clés de succès et les défis rencontrés, comparera l’approche de ForAfrika à celle d’autres acteurs africains, et évaluera la scalabilité et la réplicabilité de son modèle. L’objectif final est de tirer des enseignements pertinents pour d’autres ONG africaines désireuses d’explorer la voie de l’entrepreneuriat social pour renforcer leur autonomie et pérenniser leur action. L’analyse se fondera exclusivement sur les matériaux de recherche fournis et suivra les huit points spécifiques soulevés dans la requête initiale.

FORAFRIKA : CONTEXTE ORGANISATIONNEL ET TRANSITION VERS L’ENTREPRENEURIAT SOCIAL #

PROFIL DE FORAFRIKA : MISSION, HISTORIQUE ET ACTIVITÉS #

L’histoire de ForAfrika commence en 1984, lorsque Peter et Ann Pretorius fondent Joint Aid Management (JAM).13 Cette initiative est née d’une expérience directe et poignante de Peter Pretorius lors de la grave famine qui sévissait au Mozambique, où il a été témoin de la dévastation causée par la faim.13 Initialement axée sur l’aide nutritionnelle d’urgence, l’organisation a progressivement élargi son champ d’action pour devenir une ONG de développement holistique, intervenant dans de multiples secteurs pour répondre aux besoins complexes des communautés africaines.13 En 2022, JAM change de nom pour devenir ForAfrika, une décision marquant une volonté d’affirmer son identité panafricaine et son ancrage sur le continent.19 Elle est aujourd’hui considérée comme la plus grande ONG humanitaire et de développement d’origine africaine et dirigée par des Africains.12

La mission de ForAfrika est de “fournir les ressources qui libèrent l’abondance de l’Afrique afin que chaque communauté africaine puisse prospérer” 16, avec pour vision ultime “une Afrique qui prospère”.14 L’organisation s’appuie sur des valeurs chrétiennes 15, mais souligne son engagement à servir toutes les communautés sans discrimination.14 Sa philosophie fondamentale considère l’aide non pas comme de la charité, mais comme un investissement dans l’avenir de l’Afrique, visant à faire passer les communautés de la dépendance à la résilience.17

Les activités de ForAfrika sont structurées autour d’une approche intégrée et dirigée par les communautés elles-mêmes.17 Ses interventions s’articulent autour de six piliers programmatiques principaux : Urgences, Eau (WASH – Eau, Assainissement et Hygiène), Alimentation (Sécurité alimentaire et Moyens de subsistance), Santé (et Nutrition), Éducation, et Économie (Croissance économique et autonomisation).14 Concrètement, cela se traduit par une large gamme d’activités, incluant la réponse rapide aux crises 17, le forage de puits et la mise en place de systèmes d’approvisionnement en eau potable 14, des programmes d’alimentation scolaire pour combattre la malnutrition et encourager la scolarisation 20, un soutien technique et matériel aux agriculteurs pour améliorer la production et les revenus 12, la création et l’accompagnement d’Associations Villageoises d’Épargne et de Crédit (VSLA) pour favoriser l’inclusion financière 20, ainsi que des programmes de développement des compétences professionnelles et entrepreneuriales.17

ForAfrika opère dans plusieurs pays africains, bien que le nombre exact puisse varier légèrement selon les sources et les années (entre 6 et 8 pays sont généralement cités, incluant l’Angola, le Mozambique, le Rwanda, l’Afrique du Sud, le Soudan du Sud, l’Ouganda, et parfois la République Centrafricaine et l’Éthiopie).13 L’organisation dispose également d’un réseau de bureaux de soutien internationaux (par exemple aux États-Unis, au Royaume-Uni, en Suisse, au Canada, en Allemagne) qui jouent un rôle dans la collecte de fonds et la sensibilisation.28 Sur le plan du leadership, après le décès de Peter Pretorius en 2018 25, Ann Pretorius a assuré la direction avant que leur fils, Isak Pretorius, ne devienne le PDG actuel du groupe.13 L’organisation emploie un nombre significatif de personnes, avec des chiffres allant de 623 (pour ForAfrica Operations) à environ 1000 mentionnés.13

Cette longue histoire de quatre décennies, née d’une réponse directe à une crise humanitaire et évoluant vers une approche de développement complexe et intégrée, confère à ForAfrika une légitimité et une confiance considérables auprès des communautés qu’elle sert.23 Cette relation établie, fondée sur une présence durable et une compréhension des contextes locaux, représente un atout fondamental et potentiellement différenciateur au moment où l’organisation déploie sa stratégie d’entrepreneuriat social, capitalisant sur des liens tissés au fil des ans.45 Contrairement à de nouvelles entreprises sociales qui doivent construire cette confiance à partir de zéro, ForAfrika peut s’appuyer sur ce capital social accumulé.

Par ailleurs, le changement de nom de JAM à ForAfrika en 2022 19 semble dépasser la simple communication. Il coïncide avec une redéfinition stratégique incluant l’entrepreneuriat social et affirme une identité panafricaine forte : “des Africains au service de l’Afrique”.16 Cette affirmation suggère une volonté de s’approprier les solutions de développement, en cherchant des modèles endogènes et en réduisant potentiellement la dépendance perçue vis-à-vis des approches et financements externes traditionnels. L’adoption de l’entrepreneuriat social s’inscrit ainsi dans ce repositionnement stratégique plus large vers des solutions africaines pour les défis africains.

PAYSAGE DU FINANCEMENT TRADITIONNEL ET DÉFIS FINANCIERS #

Historiquement, ForAfrika a compté sur des sources de financement traditionnelles pour soutenir ses vastes opérations. Les donateurs institutionnels majeurs, tels que l’Agence des États-Unis pour le Développement International (USAID) 17 et diverses agences des Nations Unies comme le Programme Alimentaire Mondial (PAM), l’UNICEF et la FAO 20, ont été des partenaires financiers clés. Les dons provenant de particuliers, d’églises, d’entreprises et de fondations, collectés via ses bureaux internationaux et ses plateformes en ligne, constituent une autre source importante de revenus.17 Les dons en nature (comme les denrées alimentaires ou le matériel) représentent également une part très significative des ressources totales de l’organisation.19

Cependant, ce modèle de financement traditionnel présente des vulnérabilités inhérentes, auxquelles ForAfrika n’a pas échappé. L’exemple le plus concret est la récente réduction de 5 millions de dollars du financement de l’USAID, affectant directement des projets critiques au Soudan du Sud, en Ouganda et au Mozambique.17 Cet incident illustre la précarité induite par la dépendance à l’égard d’un nombre limité de grands donateurs.

Au-delà des coupes budgétaires ponctuelles, ForAfrika, par la voix de son PDG, a exprimé des préoccupations plus structurelles concernant la nature même de certains financements traditionnels.6 La prédominance des financements à court terme et/ou strictement fléchés vers des projets spécifiques rend difficile la mise en œuvre de programmes de transformation à long terme. Ces modalités peuvent entraver la flexibilité organisationnelle, empêcher la couverture des coûts opérationnels essentiels (y compris les salaires du personnel qualifié nécessaire pour concevoir et gérer des interventions complexes) et limiter la capacité de l’ONG à répondre rapidement et de manière agile aux crises émergentes ou aux opportunités de développement.6

Ces défis s’inscrivent dans un contexte plus large où les ONG africaines, en particulier les organisations locales, luttent pour accéder à des financements suffisants et durables. La concurrence pour les fonds est intense, souvent au détriment des acteurs locaux face aux grandes ONG internationales.3 La diversification des sources de revenus reste un défi majeur pour beaucoup.1 De plus, les contextes d’intervention de ForAfrika sont souvent marqués par des défis structurels – infrastructures déficientes, instabilité politique ou sécuritaire, impacts du changement climatique, cycles de pauvreté persistants – qui augmentent les besoins des populations et complexifient la planification et l’exécution des programmes, ajoutant une pression supplémentaire sur les ressources financières.39

LA TRANSITION STRATÉGIQUE VERS L’ENTREPRENEURIAT SOCIAL #

C’est dans ce contexte de défis financiers et de volonté d’approfondir son impact que ForAfrika a opéré une transition stratégique majeure en intégrant l’entrepreneuriat social au cœur de son modèle. Cette démarche apparaît comme une réponse directe aux limites et à la précarité du financement traditionnel.6 Elle s’aligne également sur la philosophie de l’organisation qui privilégie une approche “d’investissement” visant la résilience et l’autonomie durable, plutôt qu’une simple aide caritative.17 L’ambition affichée est de permettre aux communautés de dépasser le stade de la simple autosubsistance pour atteindre une véritable viabilité commerciale.17

Cette transition n’est pas un ajout périphérique mais une composante centrale de la stratégie globale de ForAfrika. Le changement de marque en 2022 et la redéfinition de la vision ont coïncidé avec la formalisation de cette orientation.19 Une division spécifique, “ForAfrika Social Enterprise” (FASE), a été créée pour piloter ces initiatives.17 L’entrepreneuriat social est explicitement positionné comme la deuxième phase de la Théorie du Changement de l’organisation, prolongeant logiquement le travail accompli dans les phases humanitaire et de développement.45

La critique formulée par le PDG Isak Pretorius à l’égard des financements traditionnels à court terme 6 révèle plus qu’une simple contrainte budgétaire. Elle suggère une tension philosophique potentielle entre la vision de ForAfrika, axée sur la transformation profonde et à long terme (“investissement”, “résilience” 17), et les modalités souvent restrictives de l’aide classique. Dans cette perspective, l’entrepreneuriat social n’est pas seulement une tactique de diversification des revenus, mais apparaît comme un outil stratégique visant à aligner plus étroitement les moyens financiers avec la vision d’autonomie durable de l’organisation, tant pour elle-même que pour les communautés qu’elle accompagne.19

Tableau 1: Profil Organisationnel de ForAfrika (Synthèse)

CaractéristiqueDétailSources Principales
Nom ActuelForAfrika19
Ancien NomJoint Aid Management (JAM)13
Année de Fondation198413
FondateursPeter Pretorius (décédé) & Ann Pretorius13
StatutONG humanitaire et de développement13
Siège SocialJohannesburg, Afrique du Sud13
Mission CléFournir les ressources qui libèrent l’abondance de l’Afrique pour que chaque communauté prospère16
Vision CléPour que l’Afrique prospère14
Piliers ProgrammatiquesUrgences, Eau (WASH), Alimentation (Sécurité & Moyens de subsistance), Santé & Nutrition, Éducation, Économie14
Pays d’Opération (exemples)Angola, Mozambique, Rwanda, Afrique du Sud, Soudan du Sud, Ouganda, Rép. Centrafricaine, Éthiopie13
Taille (indicative)~600-1000 employés; >4 millions de personnes atteintes en 202313
Sources Financement TraditionnellesDonateurs institutionnels (USAID, ONU), Dons privés (individus, entreprises, fondations), Dons en nature17
Leadership Actuel (CEO)Isak Pretorius13

LE MODÈLE D’ENTREPRENEURIAT SOCIAL DE FORAFRIKA : ANALYSE DÉTAILLÉE #

CADRE CONCEPTUEL : LA THÉORIE DU CHANGEMENT ET L’INTÉGRATION STRATÉGIQUE #

L’approche d’entrepreneuriat social de ForAfrika n’est pas une initiative isolée, mais une composante intégrée de sa stratégie globale et de sa Théorie du Changement. Elle est explicitement positionnée comme la Phase 2 de cette théorie, faisant suite et s’appuyant sur les fondations posées par la Phase 1, qui englobe les activités traditionnelles d’aide humanitaire et de développement (Réponse d’urgence, Rétablissement précoce et Transition, Développement transformationnel).19

L’objectif fondamental de cette Phase 2 est ambitieux : accompagner les individus et les communautés ayant atteint un niveau d’autosuffisance grâce aux interventions de la Phase 1 vers une étape supérieure, celle de la viabilité commerciale et de l’épanouissement économique (“thriving”).17 Il s’agit de passer d’une logique de survie et de satisfaction des besoins de base à une logique de croissance économique durable et autonome.

Une caractéristique stratégique clé de ce modèle est sa volonté de capitaliser sur les acquis de la Phase 1, notamment les relations de confiance profondes et les connaissances contextuelles développées au fil des années d’intervention sur le terrain.45 L’entrepreneuriat social n’est donc pas perçu comme une activité distincte, mais comme une extension naturelle et logique du travail de développement, offrant un parcours progressif aux bénéficiaires. Cette approche intégrée cherche à se distinguer des efforts d’entrepreneuriat social parfois observés en Afrique, qui peuvent être isolés, déconnectés des réalités du développement communautaire ou principalement concentrés dans les zones urbaines avec un impact limité.17

LES HUBS D’ENTREPRENEURIAT SOCIAL : STRUCTURE ET FONCTIONNEMENT #

Au cœur du modèle d’entrepreneuriat social de ForAfrika se trouvent les “ForAfrika Social Enterprise Hubs” (Hubs FASE). Ces Hubs sont conçus comme des infrastructures physiques implantées au sein même des communautés, fonctionnant comme des plateformes centralisées offrant une gamme diversifiée de services.45

Une caractéristique distinctive de ces Hubs est leur nature évolutive. Ils sont conçus pour progresser par paliers – de micro-hubs à des hubs de taille moyenne (“mid”), puis à des macro-hubs (“super hub”) – en fonction de l’expansion des services proposés et de la maturation économique de la communauté et des entreprises locales qu’ils desservent.45 Des critères spécifiques définissent ces différents niveaux (“tiers”), basés sur des indicateurs tels que le nombre de coopératives agricoles partenaires, le nombre de VSLAs actives, le nombre de ménages touchés ou le volume de prêts gérés.45 Cette conception modulaire suggère une scalabilité intégrée dès le départ, permettant une adaptation progressive aux capacités locales et une croissance organique alignée sur le développement communautaire.

Sur le plan opérationnel, les Hubs FASE sont structurés pour fonctionner comme des centres commerciaux à but lucratif.45 Cette orientation commerciale vise à assurer leur propre viabilité financière à long terme, en appliquant des pratiques de gestion saines. Un principe fondamental du modèle est que les bénéfices générés par les activités des Hubs ne sont pas distribués à des actionnaires, mais sont réinvestis dans les activités de développement plus larges de ForAfrika, soutenant ainsi sa mission globale et créant un cycle potentiel d’autofinancement partiel.45

Les services offerts par les Hubs sont principalement axés sur le renforcement de la chaîne de valeur agricole, bien que le soutien puisse s’étendre à d’autres secteurs pertinents pour l’économie locale.45 La gamme de services comprend typiquement :

  • L’accès facilité à des intrants agricoles de qualité (semences, engrais).45
  • Des services de vulgarisation agricole et de conseil technique.45
  • L’accès à des services mécanisés (location de tracteurs, etc.).45
  • Des solutions de stockage post-récolte pour réduire les pertes.45
  • Des opportunités de transformation des produits agricoles pour ajouter de la valeur.45
  • Un soutien pour l’accès au marché et la commercialisation des produits.45
  • Des services financiers adaptés : un mécanisme clé est l’octroi de prêts sous forme de bons (“vouchers”) que les agriculteurs utilisent pour payer les services fournis par le Hub.45 ForAfrika Social Enterprise (FASE) joue ici un double rôle de fournisseur de services financiers et de gestionnaire des garanties (par exemple, en sécurisant les prêts futurs sur les récoltes précédentes).45 L’offre de financement est conçue pour être évolutive, allant de micro-prêts (parfois à taux zéro ou faible au début) à des prêts de taille moyenne, puis à des financements plus conséquents (dette, équité, financement d’actifs) à mesure que les entreprises soutenues grandissent.45
  • Des programmes de formation, tant pour les agriculteurs (techniques agricoles, gestion) que pour les entrepreneurs locaux qui pourraient fournir certains des services proposés par le Hub (mécanisation, transformation, etc.).45
  • D’autres services logistiques comme la gestion de la chaîne d’approvisionnement et la distribution.45

Un aspect innovant du modèle est son mécanisme intégré de réduction des risques (“de-risking”).45 En fournissant des prêts sous forme de bons échangeables contre des services spécifiques au sein du Hub, FASE s’assure que le financement est utilisé aux fins prévues et contrôle la qualité des services reçus par l’agriculteur, réduisant ainsi le risque de défaut de paiement. Simultanément, ce système crée un marché captif pour les entreprises locales qui fournissent ces services (par exemple, location de matériel, transformation), réduisant leur propre risque commercial pendant leur phase de démarrage et encourageant le développement d’un écosystème économique local.45

Le double rôle assumé par ForAfrika SE – celui de fournisseur de services via le Hub et celui de fournisseur de financement via les prêts et vouchers 45 – crée un écosystème initialement très contrôlé. Cette approche est efficace pour minimiser les risques et guider les premiers pas des entrepreneurs.45 Cependant, elle soulève des questions importantes quant à la transition future des entreprises vers une plus grande autonomie vis-à-vis de ForAfrika. La manière dont s’opérera le passage de cet environnement protégé vers la compétition sur le marché ouvert et l’accès à des financements externes – objectifs ultimes du stade de maturité 45 – sera déterminante pour la durabilité à long terme de l’impact.

PARCOURS DES BÉNÉFICIAIRES ET DES ENTREPRISES #

Le modèle FASE est conçu autour de parcours évolutifs, tant pour les individus que pour les entreprises qu’ils créent ou développent.

Le Parcours Individuel commence typiquement lorsque la personne est bénéficiaire des programmes humanitaires ou de développement de ForAfrika (Phase 1).45 Au fur et à mesure des interventions (aide alimentaire, accès à l’eau, formation de base), l’individu progresse vers l’autosuffisance. C’est à ce stade qu’il peut intégrer la Phase 2, dédiée à l’entrepreneuriat social, avec l’objectif d’atteindre la viabilité commerciale.45 Pour accompagner cette transition, ForAfrika a développé un système de profilage détaillé des individus à chaque étape, évaluant des indicateurs variés comme le niveau de revenu, les compétences acquises, le statut d’emploi, la sécurité alimentaire, l’accès aux services de santé, l’état des infrastructures locales, la vulnérabilité aux chocs (conflits, climat) et les opportunités économiques existantes.45 Ce profilage permet ensuite d’évaluer les besoins spécifiques de l’individu à chaque phase de son parcours entrepreneurial (Stade Précoce, Croissance, Mature). Les défis typiques identifiés incluent l’accès limité au capital, la forte vulnérabilité au changement climatique, l’accès insuffisant aux ressources naturelles (eau, énergie), le manque de compétences techniques ou de gestion, la faible intégration dans les chaînes de valeur et l’accès limité aux marchés et à l’information, ainsi qu’un accès restreint à la technologie.45 Les interventions proposées par les Hubs FASE sont alors adaptées pour répondre à ces besoins spécifiques et permettre à l’individu de progresser.

Le Parcours des Entreprises évolue parallèlement à celui des individus.45 Le modèle FASE distingue trois stades principaux :

  1. Stade Précoce (Early Stage) : L’individu passe de l’autosuffisance à la création d’une micro-entreprise.45 Les caractéristiques typiques pourraient être une petite surface cultivée (ex: 3-10 acres), une production et des revenus annuels modestes, et l’emploi d’un nombre limité de travailleurs (ex: 3-30).45 L’accès au capital se fait via des micro-prêts ou des financements souples (“pay what you can afford”).45
  2. Stade de Croissance (Growth Stage) : La micro-entreprise se développe pour devenir une petite entreprise bien établie et rentable.45 La taille de l’exploitation, la production, les revenus et le nombre d’employés augmentent significativement.45 L’accès à des prêts de taille moyenne devient possible.45
  3. Stade Mature (Mature Stage) : L’entreprise atteint une taille moyenne avec une forte rentabilité.45 Elle opère sur des surfaces plus grandes (ex: +50 acres), génère des revenus substantiels et emploie un nombre plus important de personnes (ex: +150).45 L’accès à des prêts commerciaux plus importants et au financement d’actifs, potentiellement via des syndications, est envisagé.45

Ce parcours structuré, avec des métriques et des services adaptés à chaque étape, vise à fournir un accompagnement progressif et cohérent aux entrepreneurs.

INITIATIVE SPÉCIFIQUE : L’INITIATIVE LAITIÈRE EN OUGANDA (PARTENARIAT AVEC AMOS DAIRIES) #

Une illustration concrète et ambitieuse de la stratégie FASE est l’initiative lancée récemment dans le secteur laitier en Ouganda.17 Pilotée par ForAfrika Social Enterprise, cette initiative vise à transformer la chaîne d’approvisionnement laitière locale et à autonomiser les producteurs laitiers émergents en leur permettant d’accroître leur production et d’améliorer durablement leurs revenus.17

Un élément central de cette initiative est un partenariat stratégique avec Amos Dairies Ltd, un acteur majeur de la transformation laitière en Ouganda.56 Amos Dairies, une filiale d’une société indienne, dispose d’une capacité de traitement importante, s’approvisionne auprès de milliers de petits exploitants locaux et exporte une grande partie de ses produits (notamment la caséine, le ghee, le beurre).56 L’entreprise a d’ailleurs attiré des investissements privés, notamment 10 millions de dollars du fonds Agri-Vie Fund II, pour soutenir sa croissance.58

Dans le cadre de ce partenariat, un accord d’enlèvement (“off-take agreement”) d’une valeur de 120 millions de dollars a été conclu.17 Cet accord garantit un débouché commercial stable et à grande échelle pour le lait produit par les agriculteurs participant à l’initiative de ForAfrika SE. Cela illustre parfaitement le principe de “de-risking” cher au modèle des Hubs, en offrant un marché sécurisé aux producteurs.17

Le rôle de ForAfrika SE est celui d’initiateur et d’orchestrateur du projet.17 Le modèle économique vise un “double retour” : d’une part, générer des revenus sécurisés grâce à l’accord commercial avec Amos Dairies, et d’autre part, réinvestir les bénéfices éventuels de FASE dans la mission plus large de ForAfrika, contribuant ainsi à la transition des communautés de l’aide d’urgence vers la résilience économique.53

Cette initiative représente un test significatif pour le modèle FASE. Elle démontre la capacité (ou l’ambition) de ForAfrika à structurer des partenariats complexes avec des acteurs commerciaux privés de premier plan, financés par des capitaux externes.58 Le succès de cette collaboration sera un indicateur clé de la viabilité du modèle de Hub à plus grande échelle et de sa capacité à intégrer efficacement les petits exploitants dans des chaînes de valeur commerciales lucratives, dépassant ainsi le cadre des interventions plus directes traditionnellement menées par l’ONG.

AUTRE INITIATIVE : DIGITALISATION DES VSLAS AU RWANDA (AMATSINDA.RW) #

Une autre initiative notable, bien que potentiellement positionnée à la charnière entre la Phase 1 (Développement Transformationnel) et la Phase 2 (ES), est le projet de digitalisation des Associations Villageoises d’Épargne et de Crédit (VSLAs) au Rwanda.41

ForAfrika a constaté que les VSLAs traditionnelles, bien qu’essentielles pour l’inclusion financière en milieu rural, souffraient de limites : tenue de registres sur papier sujette aux erreurs et chronophage, manque de transparence pouvant éroder la confiance, et faible niveau de littératie financière parmi les membres entravant une prise de décision éclairée.41

Pour répondre à ces défis, ForAfrika a développé Amatsinda.rw, une plateforme numérique conçue spécifiquement pour les besoins des VSLAs rwandaises. Développée en Kinyarwanda et accessible via smartphone, elle permet un suivi en temps réel des épargnes et des prêts, automatise la tenue des registres avec des contrôles d’erreurs, et offre une interface conviviale. L’approche de développement a mis l’accent sur la compréhension du contexte local et l’intégration du concept culturel rwandais d'”Amatsinda” (groupes).41

Les résultats rapportés suite à la phase pilote sont positifs : amélioration significative de l’efficacité de la gestion financière, réduction drastique des erreurs de comptabilité, confiance accrue des membres dans les opérations de leur VSLA, amélioration mesurable des scores de littératie financière, et augmentation notable de la participation des femmes aux décisions financières au sein des groupes.41

Bien que cette initiative puisse être vue comme une activité de renforcement des capacités relevant de la fin de la Phase 1, elle joue un rôle crucial en préparant le terrain pour l’entrepreneuriat social. En améliorant la gouvernance financière, la transparence et les compétences des membres des VSLAs, Amatsinda.rw renforce leur capacité à gérer des fonds plus importants et à participer potentiellement à des initiatives économiques plus ambitieuses, telles que celles proposées par les Hubs FASE. Elle contribue directement à surmonter le défi de l’inclusion financière limitée, identifié comme un obstacle majeur dans le parcours entrepreneurial.45

Tableau 2: Modèle des Hubs d’Entrepreneuriat Social de ForAfrika (Vue d’ensemble)

Composante CléDescriptionSources Principales
Objectif PrincipalFaire passer les communautés de l’autosuffisance à la viabilité commerciale et à l’épanouissement (“thriving”)17
Intégration StratégiquePhase 2 de la Théorie du Changement, s’appuyant sur la Phase 1 (Humanitaire & Développement)19
Structure des HubsInfrastructures physiques évolutives : Micro -> Mid -> Super Hubs (Tier 3 à Tier 1)45
Services Clés OffertsPrincipalement chaîne de valeur agricole : Intrants, Mécanisation, Vulgarisation, Stockage, Transformation, Accès au marché, Financement, Formation, Logistique45
Mécanismes de FinancementPrêts internes (FASE) sous forme de Vouchers pour services du Hub; Financement évolutif (micro -> commercial) selon maturité entreprise45
Réinvestissement des ProfitsLes bénéfices générés par les Hubs (opérant à but lucratif) sont réinvestis dans la mission de développement de ForAfrika45
Mécanisme de “De-risking”Système de vouchers créant un marché captif pour les services locaux; Accords d’enlèvement (ex: Laiterie Ouganda) garantissant les débouchés17

ÉVALUATION DE L’IMPACT : ENTREPRENEURIAT SOCIAL ET VIABILITÉ FINANCIÈRE #

DIVERSIFICATION DES REVENUS ET SANTÉ FINANCIÈRE #

L’un des objectifs majeurs de l’adoption de l’entrepreneuriat social par les ONG est de diversifier leurs sources de revenus afin de réduire leur dépendance historique vis-à-vis des dons et subventions traditionnels, souvent fluctuants et assortis de contraintes.6 Le modèle FASE de ForAfrika s’inscrit clairement dans cette logique, avec des Hubs conçus pour opérer comme des entités commerciales générant leurs propres revenus et visant la durabilité financière.45 L’initiative laitière en Ouganda, par exemple, cible explicitement des revenus sécurisés via un accord commercial d’enlèvement.53 L’exemple de BRAC, une ONG internationale opérant également en Afrique et parvenant à autofinancer une part substantielle de ses activités grâce à ses entreprises sociales et sa microfinance (jusqu’à 73% mentionné), illustre le potentiel de ce type de modèle à long terme.11

Cependant, l’évaluation de l’impact financier actuel de la stratégie FASE sur les revenus globaux de ForAfrika se heurte à un manque de données spécifiques. Les rapports annuels disponibles pour 2022 et 2023 présentent les chiffres globaux des revenus (combinants les contributions en espèces et les dons en nature significatifs), mais ne fournissent pas de ventilation claire distinguant la part générée par les activités d’entrepreneuriat social de celle provenant des dons traditionnels ou des subventions.19 Le rapport 2023 indique même que le développement complet de la division FASE était prévu pour 2024 19, ce qui suggère que sa contribution financière directe aux revenus globaux de l’organisation en 2022 et 2023 était probablement encore limitée ou en phase de démarrage. L’ambition affichée reste néanmoins considérable, FASE visant à terme à fournir une plateforme d’épanouissement économique pour 6 millions de personnes.19

Malgré l’absence de chiffres précis sur les revenus de FASE, le modèle prévoit explicitement que les éventuels profits générés par les Hubs soient réinvestis dans les activités de développement de ForAfrika.45 Ce mécanisme de réinvestissement crée, sur le papier, un cercle vertueux potentiel où le succès commercial des entreprises sociales contribue directement à financer la mission sociale de l’organisation, renforçant ainsi sa capacité d’action et son autonomie. La réalisation effective de ce potentiel dépendra toutefois de la capacité des Hubs à atteindre une rentabilité suffisante dans des environnements opérationnels souvent difficiles. Atteindre la profitabilité pour des entreprises sociales en milieu rural africain, confrontées à des défis d’infrastructure, de marché et climatiques 39, est un obstacle majeur qui conditionne le succès de cette boucle d’autofinancement.61

En ce qui concerne la santé financière globale de ForAfrika, les données disponibles montrent une tendance à la hausse des revenus totaux ces dernières années (passant de 52M$ en 2021 à environ 54-65M$ en 2022 – les chiffres varient légèrement entre les rapports 20 – et 57M$ en 2023).19 L’organisation maintient également une allocation très élevée de ses ressources aux programmes (environ 91-92% selon les rapports annuels 19, voire plus pour l’entité américaine selon Charity Navigator 63), ce qui témoigne d’une certaine efficacité opérationnelle. Néanmoins, les défis financiers persistent. La coupe budgétaire de l’USAID 17 et les plaidoyers répétés du PDG pour un financement à long terme et moins restrictif 6 indiquent clairement que, malgré l’adoption de la stratégie ES, la dépendance vis-à-vis des donateurs traditionnels et les contraintes financières associées restent une réalité significative pour ForAfrika à ce stade. L’autonomie financière complète demeure un objectif à long terme.

RENFORCEMENT DE L’IMPACT PROGRAMMATIQUE ET ALIGNEMENT AVEC LA MISSION #

Au-delà de l’aspect financier, il est crucial d’évaluer comment les initiatives d’entrepreneuriat social de ForAfrika s’articulent avec sa mission principale et renforcent son impact programmatique. Le modèle FASE est explicitement conçu comme une extension logique des programmes de développement existants, offrant un continuum aux bénéficiaires pour progresser vers l’autonomie économique.45

Les activités menées dans le cadre de FASE, notamment celles des Hubs axés sur l’agriculture, sont en alignement direct avec les piliers programmatiques historiques de ForAfrika, en particulier la sécurité alimentaire et les moyens de subsistance, ainsi que la croissance économique.17 Cette forte synergie entre les activités commerciales et la mission sociale fondamentale de l’organisation est un atout majeur. Elle permet de garantir une cohérence organisationnelle et pourrait être un facteur clé pour éviter le phénomène de “dérive de mission” (“mission drift”), un risque souvent associé aux ONG qui adoptent des modèles d’affaires pour générer des revenus.65 Lorsque l’activité commerciale est intrinsèquement liée à l’impact social recherché, comme c’est le cas ici avec l’amélioration des revenus agricoles ou l’inclusion financière, le risque de voir les objectifs commerciaux prendre le pas sur la mission sociale est potentiellement atténué. Cette cohérence renforce également la légitimité de l’approche ES, tant en interne qu’auprès des partenaires et des communautés.

Les initiatives FASE visent à soutenir directement les objectifs sociaux de ForAfrika de plusieurs manières. Les Hubs, en stimulant l’activité économique locale et en soutenant les entreprises de services (transformation, mécanisation, etc.), ont le potentiel de créer des emplois locaux.45 L’amélioration des techniques agricoles, l’accès aux intrants et aux marchés visent à augmenter les revenus des agriculteurs et à renforcer la sécurité alimentaire.17 L’initiative de digitalisation des VSLAs au Rwanda a démontré sa capacité à améliorer l’inclusion financière, en particulier pour les femmes, et à renforcer leur pouvoir de décision économique.41 De même, l’initiative laitière en Ouganda a pour objectif explicite l’autonomisation économique des producteurs et l’amélioration de leurs moyens d’existence.17

Des exemples concrets illustrent cette intégration. L’histoire de Thomas, un agriculteur passé de l’insécurité alimentaire à la génération de profits significatifs grâce à l’agriculture commerciale, est présentée comme une illustration du “processus éprouvé” de ForAfrika, qui combine potentiellement soutien au développement et facilitation de l’accès au marché.19 De même, l’articulation observée au Rwanda entre le soutien aux centres de développement de la petite enfance (ECD) et la création de groupes agricoles et de VSLAs pour les parents montre comment des interventions sociales (éducation, santé) peuvent être synergiquement couplées à des stratégies d’autonomisation économique.20

Enfin, le potentiel de création d’emplois des entreprises sociales est un aspect important de leur impact.66 Le modèle des Hubs FASE, en soutenant la croissance des exploitations agricoles (qui nécessitent plus de main-d’œuvre 45) et en encourageant le développement d’entreprises de services locales, pourrait contribuer à la création d’emplois directs et indirects dans les communautés rurales.

Tableau 3: Aperçu Financier de ForAfrika (Années Récentes – Données Globales)

Indicateur202120222023Sources
Revenu Total (Cash + Dons en nature)~52 M USD~54-65 M USD*~57 M USD19
Revenu CashN/A~25 M USD~29 M USD19
Dons en Nature ReçusN/A~29 M USD~28 M USD19
Dépenses Totales~16 M USD**~21 M USD**~35 M USD**63
% Dépenses Programmes~94.4%**~96.7%** / 92%***~98.3%** / 91%****19
% Dépenses Admin/Collecte Fonds~5.6%**~3.3%** / 8%***~1.7%** / 9%****19
Contribution Spécifique de l’ES aux RevenusNon disponibleNon disponibleNon disponible (FASE en développement)19

*Note : Les chiffres pour 2022 varient entre le rapport 20 (54M$) et 49 (65M$).

**Note : Les chiffres de dépenses et pourcentages issus de 63 (Charity Navigator) concernent potentiellement l’entité américaine (USA ForAfrika) pour les années fiscales correspondantes et peuvent différer des chiffres consolidés globaux.

***Note : Pourcentage global 2022 selon 49/.20

****Note : Pourcentage global 2023 selon.19

DYNAMIQUES DE MISE EN ŒUVRE : FACTEURS DE SUCCÈS ET DÉFIS #

La mise en œuvre d’une stratégie d’entrepreneuriat social aussi ambitieuse que celle de ForAfrika implique de naviguer dans un environnement complexe, en s’appuyant sur des atouts spécifiques tout en faisant face à des obstacles significatifs.

LEVIERS CLÉS DU SUCCÈS (IDENTIFIÉS OU POTENTIELS) #

Plusieurs facteurs semblent jouer ou pourraient jouer un rôle déterminant dans le succès de l’approche FASE :

  • Confiance et Relations Communautaires Préexistantes : Comme mentionné précédemment, l’ancrage historique profond de ForAfrika et la confiance bâtie sur des décennies de présence et d’actions concrètes constituent un avantage comparatif majeur. Cette légitimité facilite l’introduction et l’acceptation de nouvelles initiatives comme les Hubs FASE au sein des communautés.45
  • Approche Intégrée et Cohérente : La connexion fluide entre les programmes de développement traditionnels (Phase 1) et les initiatives d’entrepreneuriat social (Phase 2) offre un parcours logique et progressif aux bénéficiaires, évitant une rupture brutale.45 De plus, l’intégration de multiples services (techniques, financiers, commerciaux) au sein des Hubs permet une réponse plus complète et holistique aux besoins complexes des entrepreneurs ruraux.45
  • Modèle de Réduction des Risques (“De-risking”) : La mise en place de mécanismes visant à atténuer les risques inhérents à l’entrepreneuriat en milieu rural est un facteur d’attractivité important. Que ce soit par la garantie de débouchés (via les accords d’enlèvement comme celui avec Amos Dairies 17) ou par la facilitation de l’accès aux services et au financement via le système de vouchers 45, ces approches réduisent l’incertitude pour les agriculteurs et les entreprises locales partenaires.
  • Adaptation au Contexte Local : La démarche de profilage détaillé des individus et des entreprises selon leur stade de développement 45 et l’adaptation des services proposés en fonction du niveau (Tier) des Hubs 45 témoignent d’une volonté d’ajuster l’intervention aux réalités spécifiques de chaque communauté. L’exemple de la plateforme Amatsinda.rw au Rwanda, conçue en tenant compte de la langue et de concepts culturels locaux 41, illustre également cette sensibilité contextuelle.
  • Leadership et Vision Stratégique : Le succès de toute transformation organisationnelle majeure, et en particulier l’adoption de l’entrepreneuriat social, repose sur un leadership fort, visionnaire et engagé.51 La direction de ForAfrika, notamment son PDG Isak Pretorius, semble porter activement cette vision de transition vers des modèles plus durables.6
  • Ancrage Africain et Connaissance Locale : L’identité revendiquée de ForAfrika comme organisation africaine, employant majoritairement du personnel local connaissant intimement les défis et les opportunités du continent 12, est un atout précieux pour concevoir et mettre en œuvre des solutions pertinentes et adaptées.
  • Partenariats Stratégiques : La capacité à nouer des partenariats efficaces est essentielle. Cela inclut les collaborations avec le secteur privé (comme Amos Dairies 17), mais aussi le maintien de relations solides avec les partenaires traditionnels (agences ONU, gouvernements locaux et nationaux) qui restent cruciaux pour l’environnement opérationnel et l’impact à grande échelle.20

OBSTACLES RENCONTRÉS ET STRATÉGIES D’ATTÉNUATION (IDENTIFIÉS OU POTENTIELS) #

La mise en œuvre du modèle FASE se heurte également à des défis importants, communs à de nombreuses initiatives d’entrepreneuriat social en Afrique :

  • Accès au Capital Approprié : C’est un défi quasi universel pour les entreprises sociales africaines. Le financement est souvent difficile à obtenir, en particulier pour les entreprises en phase de croissance qui ont dépassé le stade des micro-crédits mais ne sont pas encore assez matures pour attirer les investisseurs en capital-risque traditionnels (le “missing middle”, souvent estimé entre 30 000 et 250 000 USD).1 Le modèle de ForAfrika tente d’y pallier par des prêts internes évolutifs 45, mais la capacité à financer la croissance à grande échelle des Hubs et des entreprises partenaires dépendra inévitablement de sa capacité à mobiliser des capitaux externes plus conséquents.
  • Compétences Requises : L’entrepreneuriat social exige un ensemble de compétences spécifiques, combinant la compréhension des enjeux sociaux avec des capacités en gestion d’entreprise, finance, marketing, logistique, etc..6 ForAfrika doit disposer de ce personnel qualifié au sein de sa division FASE, et les entrepreneurs soutenus doivent également acquérir ces compétences.17 Le recrutement et la formation de talents adaptés constituent un défi.6 La stratégie d’atténuation passe par l’intégration de la formation dans le modèle des Hubs.45
  • Gestion des Risques Multiples : Les activités FASE, notamment agricoles, sont exposées à une multitude de risques : aléas climatiques 39, volatilité des prix sur les marchés 45, risques opérationnels liés aux infrastructures précaires, risques de crédit liés au remboursement des prêts 45, et risques sécuritaires ou politiques dans certaines zones d’intervention.45 La gestion proactive de ces risques est cruciale. Les stratégies incluent le “de-risking” par la garantie de marché, la promotion de pratiques agricoles résilientes au climat 19, et potentiellement la diversification des activités au sein des Hubs.
  • Équilibre Mission Sociale / Rentabilité Commerciale : Maintenir un équilibre délicat entre la poursuite des objectifs sociaux et la nécessité d’atteindre une rentabilité commerciale pour assurer la durabilité des Hubs est une tension inhérente aux modèles hybrides.65 Le risque existe que les impératifs financiers prennent le pas sur la mission sociale. La stratégie de ForAfrika repose sur le réinvestissement des profits dans la mission 45 et le fort alignement initial entre l’activité ES et les objectifs sociaux historiques.
  • Cadre Réglementaire et Environnement Institutionnel : Les Hubs FASE opèrent dans des contextes souvent caractérisés par des infrastructures déficientes (transport, énergie, communication) 39, une possible instabilité 45, et des cadres réglementaires qui ne sont pas toujours conçus pour soutenir spécifiquement les entreprises sociales ou les PME.1 Naviguer dans ces environnements complexes exige une bonne connaissance locale et une capacité d’adaptation.12
  • Défis de la Scalabilité : Passer de projets pilotes ou de micro-hubs à un réseau étendu de hubs de plus grande taille (“super hubs”) représente un défi majeur en termes d’investissement financier, de complexité logistique, de systèmes de gestion et de capacités organisationnelles.45 La gestion de la complexité croissante à mesure que le modèle FASE monte en échelle sera critique. Cela implique de gérer un nombre croissant de bénéficiaires/clients, des prêts plus importants, des chaînes d’approvisionnement plus étendues, et des partenariats potentiellement plus diversifiés. Le besoin en compétences managériales avancées deviendra exponentiellement plus important.6
  • Mesure d’Impact et Redevabilité : Démontrer de manière crédible l’impact à la fois social et économique des initiatives FASE est essentiel pour justifier le modèle, attirer des financements futurs (notamment des investisseurs d’impact) et assurer la redevabilité envers les parties prenantes.61 Cela nécessite des systèmes robustes de Suivi, Évaluation, Redevabilité et Apprentissage (SERA / MEAL).42

Il est intéressant de noter que le mécanisme de “de-risking” 45, bien que présenté comme un facteur de succès, pourrait potentiellement freiner le développement de la résilience et de l’autonomie réelles des entrepreneurs s’ils restent trop longtemps dépendants de l’écosystème protégé du Hub. Une dépendance prolongée à un marché captif 45 ou à des services et financements potentiellement subventionnés 45 pourrait entraver l’acquisition de la compétitivité nécessaire pour opérer sur le marché ouvert, qui est pourtant l’objectif du stade de maturité.45 Une stratégie claire de transition progressive vers l’extérieur semble donc nécessaire mais n’est pas explicitement détaillée dans les informations disponibles.

Enfin, l’accent mis par ForAfrika sur le parcours individuel progressif 45, accompagnant les bénéficiaires depuis les programmes de développement jusqu’à l’entrepreneuriat social, pourrait constituer une réponse aux critiques parfois adressées aux initiatives d’ES qui se focalisent uniquement sur les entrepreneurs les plus prometteurs (“cherry-picking”), au risque de négliger les populations les plus vulnérables. L’approche de ForAfrika semble viser une inclusion plus large en intégrant l’ES dans un continuum d’accompagnement, ce qui est cohérent avec sa mission globale de service aux communautés vulnérables.19

Perspectives Comparatives : ForAfrika et Autres Modèles d’Entrepreneuriat Social en Afrique #

TENDANCES DE L’ENTREPRENEURIAT SOCIAL DANS LE SECTEUR DES ONG AFRICAINES #

L’entrepreneuriat social gagne du terrain sur le continent africain, porté par une reconnaissance accrue de son potentiel à apporter des solutions innovantes et durables aux défis sociaux et environnementaux persistants.9 Plusieurs tendances se dessinent :

  • Motivation Croissante pour la Transition : De plus en plus d’ONG traditionnelles, confrontées à la précarité des financements classiques, envisagent ou adoptent des modèles d’entrepreneuriat social pour assurer leur pérennité et leur impact. L’exemple de Community Initiatives Concern (CINCO) au Kenya, qui a entrepris une transformation délibérée d’une ONG dépendante des subventions vers une entreprise sociale avec l’appui du British Council, illustre bien cette tendance.74
  • Diversité Sectorielle : L’entrepreneuriat social africain n’est pas confiné à un seul secteur. Des initiatives émergent et se développent dans des domaines variés tels que l’agriculture et la sécurité alimentaire 2, la santé 2, l’éducation 9, l’accès à l’énergie renouvelable 9, l’eau, l’assainissement et l’hygiène (WASH) 66, la gestion des déchets 66, et les technologies de l’information et de la communication (TIC).65
  • Adoption de Modèles Hybrides : Face à des cadres juridiques parfois flous ou inadaptés, de nombreuses organisations adoptent des structures hybrides, combinant une entité à but non lucratif (pour la mission sociale et la réception de dons) et une entité à but lucratif (pour les activités commerciales génératrices de revenus).65 Des exemples au Ghana, comme Soronko Solutions/Foundation ou Sangy Nursing Services/Foundation, illustrent cette approche.78
  • Défis Récurrents : Malgré l’enthousiasme, les entreprises sociales africaines partagent des défis communs bien documentés : l’accès difficile au financement adapté (en particulier pour la phase de croissance ou “missing middle”), le manque d’écosystèmes de soutien intégrés (conseil, mentorat, réseaux), une faible visibilité, des cadres réglementaires et fiscaux parfois contraignants ou peu clairs, et un besoin crucial de compétences spécifiques en gestion d’entreprise sociale.1
  • Forte Influence du Contexte : Les modèles d’entrepreneuriat social ne sont pas universels. Leur forme, leur stratégie et leur succès sont fortement conditionnés par le contexte institutionnel (politiques publiques, cadre légal), économique (stabilité, accès aux marchés), social (normes culturelles, capital social) et historique (héritage colonial, conflits) propre à chaque pays ou région.73 Une adaptation fine aux réalités locales est donc indispensable.73
  • Accent sur l’Impact Local et l’Autonomisation : Une caractéristique souvent mise en avant pour les entreprises sociales africaines est leur engagement à utiliser les ressources locales, à créer des emplois au sein des communautés, et à promouvoir l’autonomisation des populations marginalisées (femmes, jeunes, réfugiés), en s’appuyant parfois sur des valeurs culturelles endogènes comme l’Ubuntu.9

ANALYSE COMPARATIVE DES MODÈLES (EX: FORAFRIKA VS. BRAC) #

En comparant l’approche de ForAfrika à d’autres modèles d’entrepreneuriat social présents en Afrique, des similitudes et des différences notables apparaissent.

  • ForAfrika : Modèle Intégré “Hub & Spoke”
  • Le modèle FASE se caractérise par une forte intégration avec les activités de développement préexistantes de l’ONG, formant un continuum.45 L’ES est une évolution, pas une entité séparée.
  • Il y a une focalisation sectorielle initiale forte sur l’agriculture via le concept central des Hubs.45
  • Le modèle repose sur des mécanismes de financement interne et de “de-risking” centralisés au démarrage (prêts/vouchers FASE).45
  • Le réinvestissement des profits des Hubs dans la mission globale de l’ONG est un principe clé.45
  • La stratégie ES de ForAfrika est relativement récente dans sa formalisation et son déploiement à grande échelle en tant que division dédiée (depuis environ 2022-2023).19
  • BRAC : Modèle Diversifié et Mature à Grande Échelle
  • BRAC est un pionnier mondial de l’entrepreneuriat social à grande échelle, avec des décennies d’expérience.81 Originaire du Bangladesh, BRAC a adapté et déployé ses modèles dans plusieurs pays africains (Ouganda, Tanzanie, Rwanda, Sierra Leone, Liberia, Ghana).11
  • Le portefeuille d’entreprises sociales de BRAC est extrêmement diversifié, couvrant des secteurs variés allant de la vente au détail (Aarong, son fleuron) aux produits laitiers, semences, pêche, artisanat, et même une banque et une université.10
  • BRAC a atteint un niveau très élevé d’autofinancement grâce aux revenus générés par ses entreprises sociales et ses activités de microfinance (73% mentionné, visant 100%), ce qui lui confère une indépendance financière remarquable.11
  • Les entreprises sociales de BRAC ont un double objectif clair : créer un impact social direct (emploi, accès aux marchés pour les pauvres) et générer des profits, dont une part significative (environ 50% mentionné) est réinvestie dans les programmes de développement de BRAC.10
  • L’approche de BRAC est holistique, intégrant étroitement les entreprises sociales, la microfinance et les programmes sociaux (santé, éducation) dans un écosystème de solutions.11

La comparaison avec BRAC est particulièrement éclairante. Elle met en lumière la différence considérable de maturité et d’échelle entre les deux organisations en matière d’entrepreneuriat social. ForAfrika est en phase de construction et de validation de sa stratégie FASE 19, tandis que BRAC capitalise sur un modèle éprouvé et diversifié générant déjà une autonomie financière substantielle.10 Cela suggère que le chemin vers une indépendance financière significative via l’ES est probablement long et pourrait nécessiter une diversification allant au-delà d’un seul modèle ou secteur initial, comme celui des Hubs agricoles de ForAfrika.

  • Autres Modèles Comparatifs :
  • Incubateurs/Formateurs (ex: SINA en Ouganda 73) : Ces modèles se concentrent sur l’autonomisation et la formation des individus (souvent jeunes ou marginalisés) pour qu’ils créent leurs propres entreprises sociales. L’accent est mis sur le développement des capacités entrepreneuriales et l’idéation, plutôt que sur la gestion directe d’entreprises par l’ONG elle-même. D’autres acteurs comme LEAP Africa au Nigeria 2 ou des plateformes comme MEST 87 suivent des logiques similaires.
  • Entreprises Sociales Technologiques (ex: mPharma, Solar Sister 66) : Ces entreprises utilisent souvent la technologie pour résoudre des problèmes sociaux spécifiques (accès aux médicaments, à l’énergie propre). Leur modèle économique peut être plus proche de celui d’une start-up technologique, avec des enjeux liés à l’innovation, à la propriété intellectuelle et à la levée de fonds auprès d’investisseurs d’impact ou de capital-risque.76 Elles peuvent être créées indépendamment des ONG traditionnelles.
  • Modèles Hybrides Structurés (ex: CINCO 74, Soronko 78) : Ces exemples montrent des organisations qui créent délibérément des structures juridiques distinctes (une branche non-lucrative et une branche commerciale) pour gérer la dualité de leur mission. Cela peut offrir une clarté juridique et financière, mais peut aussi créer des complexités de gouvernance.
  • Distinction Théorique (Afrique du Sud 77) : La distinction entre “ONG entrepreneuriales” (centrées sur les bénéficiaires, générant des revenus pour soutenir la mission) et “entreprises sociales” (centrées sur les clients, opérant commercialement avec une mission sociale) est utile. Le modèle de ForAfrika semble naviguer entre ces deux pôles. Les Hubs FASE 45 servent initialement les bénéficiaires des programmes de développement (Phase 1), mais les traitent ensuite comme des clients (des services du Hub, des prêts) dans le cadre d’une opération commerciale (Phase 2). La gestion de cette double identité (bénéficiaire/client) et de la transition de l’une à l’autre sera un enjeu clé pour maintenir la confiance et l’alignement avec la mission sociale.

L’approche de ForAfrika, qui consiste à développer son modèle ES en interne et de manière profondément intégrée à ses opérations existantes 45, se distingue de certains autres modèles qui s’appuient davantage sur des structures de soutien externes (incubateurs 2), des partenariats public-privé 71 ou des séparations structurelles plus nettes.77 Si elle réussit, cette approche “organique” pourrait offrir un exemple intéressant d’intégration profonde pour d’autres grandes ONG établies qui souhaitent pivoter vers l’entrepreneuriat social sans créer d’entités entièrement nouvelles ou séparées.

Tableau 4: Comparaison des Modèles d’Entrepreneuriat Social (ForAfrika vs. Autres Archétypes)

CritèreForAfrika (Modèle Hub FASE)BRAC (Modèle Diversifié)Modèle Incubateur (ex: SINA)Modèle Tech SE (ex: mPharma)Modèle Hybride Structuré (ex: CINCO)
Modèle PrincipalHubs de services intégrés (agri-focus initial), parcours bénéficiaire continuPortefeuille diversifié d’entreprises sociales autonomes + MicrofinanceFormation & incubation de jeunes/marginalisés pour créer leurs ESSolution technologique spécifique à un problème socialSéparation structurelle (ONG + Entreprise liée)
Intégration ONG/ESTrès forte intégration (ES = Phase 2 des programmes ONG)Forte intégration programmatique, mais ES avec gestion distincteL’ONG forme les entrepreneurs, ne gère pas les ESSouvent indépendant de structures ONG traditionnellesSéparation juridique, lien stratégique/financier
Secteurs ClésAgriculture (initial), potentiel autresTrès diversifié (détail, agro, finance, etc.)Variable (selon les projets incubés)Santé, Énergie, Fintech, etc.Variable (selon mission ONG & activité entreprise)
Mécanisme Revenu PrincipalVente de services via Hubs (vouchers), prêtsVentes de biens/services des diverses ES, intérêts microfinanceFrais de formation (?), revenus des ES incubées (?)Vente de produits/services tech, licencesRevenus de l’entreprise liée, dons/subventions pour l’ONG
Stade de Maturité ESÉmergent / En déploiementTrès Mature (décennies)Variable (selon incubateur/cohorte)Variable (start-up à scale-up)En transition / Établi (selon cas)
Niveau Autofinancement RapportéFaible / Non documenté actuellementTrès élevé (ex: 73%+)Non applicable / VariableVariable (dépend du modèle économique)Variable (objectif de l’entreprise = soutenir l’ONG)
Focus GéographiquePlusieurs pays africainsBangladesh + Plusieurs pays africains & asiatiquesPrincipalement Ouganda (pour SINA)Panafricain / Pays spécifiquesKenya (pour CINCO)
Sources Principales1910736674

SCALABILITÉ, RÉPLICABILITÉ ET LEÇONS APPRISES #

POTENTIEL D’ADAPTATION ET DE RÉPLICATION DU MODÈLE FORAFRIKA #

Le modèle d’entrepreneuriat social développé par ForAfrika, centré sur les Hubs FASE, présente des caractéristiques qui pourraient favoriser sa scalabilité (montée en échelle au sein de ForAfrika) et sa réplicabilité (adoption par d’autres organisations).

Parmi les facteurs favorisant cette diffusion, on peut noter :

  • La conception modulaire et évolutive des Hubs (micro, mid, super).45 Cette flexibilité inhérente permet, en théorie, d’adapter l’intensité et la gamme des services au contexte local et aux ressources disponibles, rendant le modèle applicable à différentes échelles d’intervention.
  • Le focus initial sur l’agriculture.45 Ce secteur étant fondamental pour les économies et les moyens de subsistance dans de très nombreux contextes ruraux africains 2, un modèle centré sur l’amélioration de la chaîne de valeur agricole a une pertinence potentiellement large.
  • L’approche intégrée.45 Le fait que le modèle FASE puisse être “greffé” sur des programmes de développement existants (Phase 1) pourrait le rendre attrayant pour d’autres grandes ONG de développement qui cherchent à ajouter une composante d’autonomisation économique à leurs interventions.
  • Le mécanisme de “de-risking”.45 La réduction de l’incertitude pour les entrepreneurs locaux, via des marchés garantis ou un accès facilité au financement et aux services, est un argument fort dans des environnements économiques précaires et pourrait faciliter l’adhésion des bénéficiaires et des partenaires locaux.

Cependant, la scalabilité et la réplicabilité du modèle FASE sont également confrontées à des facteurs limitants et dépendent fortement des spécificités contextuelles :

  • La dépendance à la confiance préexistante. Le modèle FASE capitalise explicitement sur les relations de longue date et la confiance établies par ForAfrika.45 Cet actif relationnel est difficilement et lentement réplicable par une autre organisation qui ne disposerait pas d’un tel historique dans une communauté donnée. Cela pourrait rendre la réplication plus aisée pour les grandes ONG établies ayant déjà une forte présence terrain, comparativement à de plus petites structures ou de nouvelles initiatives.
  • Le besoin d’investissement initial. La mise en place des infrastructures physiques des Hubs, ainsi que la constitution du fonds de roulement nécessaire pour opérer le système de prêts et de vouchers, requièrent un capital de départ potentiellement important 45, ce qui peut constituer une barrière à l’entrée significative.
  • La forte sensibilité au contexte local. Le succès du modèle dépendra crucialement de son adaptation fine aux conditions spécifiques de chaque environnement : état des infrastructures (routes, énergie, communication), dynamique des marchés locaux, normes sociales et culturelles, cadre réglementaire national et local, conditions agro-climatiques, etc..39 Le succès d’une initiative dans un pays ou une région (comme les VSLAs digitales au Rwanda 41 ou l’initiative laitière en Ouganda 17) ne garantit en rien son succès ailleurs sans une adaptation rigoureuse.
  • La disponibilité de compétences locales. Trouver et retenir du personnel qualifié en gestion d’entreprise sociale, en finance, en agronomie commerciale, etc., peut être un défi dans certaines régions.6
  • La nécessité de partenariats locaux solides. Le modèle des Hubs repose sur la capacité à identifier et à collaborer efficacement avec des entreprises locales fournissant des services (mécanisation, transformation) et à établir des liens avec les marchés.45 La densité et la qualité de ce tissu économique local varieront considérablement d’un endroit à l’autre.

ENSEIGNEMENTS CLÉS POUR LES ONG AFRICAINES #

L’expérience de ForAfrika, bien qu’encore en cours de développement et de validation à grande échelle, offre plusieurs enseignements potentiels pour d’autres ONG africaines qui envisagent d’intégrer l’entrepreneuriat social dans leur stratégie pour renforcer leur autonomie financière et leur impact :

  • L’ES comme un Parcours Progressif, pas une Rupture : L’approche de ForAfrika suggère qu’il est possible d’envisager l’entrepreneuriat social comme une étape logique faisant suite aux programmes de développement traditionnels, plutôt que comme une activité entièrement nouvelle et déconnectée.45 Cela permet de capitaliser sur les acquis et d’accompagner les bénéficiaires dans une transition progressive. Recommandation : Les ONG devraient évaluer le niveau de préparation de leurs bénéficiaires (autosuffisance de base atteinte?) et la robustesse de leurs propres systèmes avant de se lancer dans des initiatives d’ES complexes nécessitant une logique commerciale.
  • L’Importance de l’Intégration et de l’Alignement Stratégique : L’alignement étroit des activités d’ES avec la mission sociale fondamentale de l’organisation est un facteur clé pour maintenir la cohérence, maximiser l’impact synergique et prévenir la dérive de mission.45 Recommandation : Privilégier les activités d’ES qui renforcent ou complètent directement les objectifs sociaux existants de l’ONG, plutôt que de se lancer dans des entreprises purement lucratives sans lien avec la mission.
  • La Pertinence d’une Approche de Réduction des Risques : Dans les contextes africains ruraux, souvent marqués par l’incertitude et la vulnérabilité, il est crucial de concevoir des modèles d’ES qui intègrent des mécanismes pour atténuer les risques auxquels sont confrontés les entrepreneurs (accès garanti au marché, financement adapté, formation technique et managériale).45 Recommandation : Intégrer des éléments de “de-risking” dans la conception des initiatives ES, en particulier durant les phases de démarrage, pour encourager la participation et augmenter les chances de succès initial.
  • L’Investissement Indispensable dans les Compétences et la Capacité : La transition vers l’entrepreneuriat social requiert de nouvelles compétences au sein de l’ONG (gestion financière orientée business, marketing, développement de partenariats commerciaux) et un investissement soutenu dans le renforcement des capacités des entrepreneurs locaux accompagnés.6 Recommandation : Budgétiser et planifier explicitement le développement des capacités humaines (internes et externes) comme une composante essentielle et non négociable de toute stratégie ES.
  • La Nécessité de Patience et d’une Vision à Long Terme : L’exemple de BRAC 11 et les données financières encore limitées de ForAfrika FASE 19 montrent que l’atteinte d’une autonomie financière significative via l’ES est un processus qui demande du temps, de la persévérance et des investissements potentiellement importants. Les retours financiers peuvent ne pas être immédiats. Recommandation : Adopter une perspective à long terme, définir des attentes réalistes en termes de calendrier et de rentabilité financière, et se concentrer initialement sur la validation du modèle et la mesure de l’impact social.
  • L’Importance Cruciale des Données et de la Mesure d’Impact : Pour piloter efficacement la stratégie ES, l’adapter en fonction des résultats, démontrer sa valeur aux parties prenantes et attirer des financements diversifiés (y compris des investissements d’impact 48), il est indispensable de mettre en place des systèmes robustes de suivi, d’évaluation et d’apprentissage.42 Recommandation : Intégrer la mesure rigoureuse de l’impact (à la fois social et financier) dès la phase de conception des initiatives ES, et pas seulement comme une évaluation a posteriori.
  • L’Exploration de Sources de Financement Diversifiées pour l’ES : Le financement des entreprises sociales ne doit pas reposer uniquement sur les revenus commerciaux générés. Il est pertinent d’explorer activement d’autres sources de capitaux spécifiquement dédiées à l’ES, telles que les subventions fléchées ES 80, les investissements d’impact 2, les partenariats stratégiques avec le secteur privé 7, voire certains financements publics lorsque disponibles.48 Recommandation : Développer une stratégie de financement mixte et diversifiée spécifiquement pour soutenir le démarrage et la croissance des activités d’entrepreneuriat social.

Il convient de souligner que ces leçons tirées de l’expérience de ForAfrika doivent être considérées avec une certaine prudence. Le modèle FASE, bien que prometteur et stratégiquement bien positionné, est encore relativement jeune dans son déploiement à grande échelle.19 Son succès durable et sa capacité à générer un impact financier et social significatif à l’échelle restent à démontrer sur le long terme. Les enseignements les plus robustes émergeront probablement au cours des prochaines années, à mesure que les Hubs gagneront en maturité et que des données d’impact plus complètes et longitudinales deviendront disponibles.

CONCLUSION #

L’analyse approfondie du cas de ForAfrika offre un éclairage précieux sur les potentialités et les complexités de l’utilisation de l’entrepreneuriat social comme levier d’autonomie financière pour les ONG africaines. Le parcours de ForAfrika illustre une transition stratégique délibérée, motivée par les limites inhérentes aux modèles de financement traditionnels et par une volonté d’approfondir son impact en favorisant la viabilité commerciale durable des communautés servies.6 Le modèle innovant des Hubs d’Entrepreneuriat Social (FASE), avec son approche intégrée, évolutive et ses mécanismes de réduction des risques, présente un potentiel théorique certain pour transformer les moyens de subsistance, en particulier dans le secteur agricole.45

En termes d’impact sur l’autonomie financière, le modèle FASE vise clairement la diversification des revenus et l’autofinancement partiel via le réinvestissement des profits.45 Cependant, l’évaluation de l’impact financier réel à ce jour est limitée par le manque de données spécifiques disponibles.19 Bien que les revenus globaux de ForAfrika soient en croissance, la dépendance significative vis-à-vis des donateurs traditionnels demeure une réalité.6 L’autonomie financière via l’ES apparaît donc comme un objectif à long terme plutôt qu’une réalité immédiate pour l’organisation.

L’alignement entre les activités d’entrepreneuriat social de ForAfrika et sa mission fondamentale de développement est un point fort notable, susceptible de renforcer la cohérence organisationnelle et l’impact social.45 Néanmoins, la mise en œuvre de cette stratégie ambitieuse se heurte à des défis considérables : mobilisation de capitaux adaptés pour la croissance, développement des compétences nécessaires en interne et chez les entrepreneurs, gestion des risques multiples inhérents aux contextes d’intervention, maintien de l’équilibre délicat entre objectifs sociaux et impératifs commerciaux, et navigation dans des environnements institutionnels et infrastructurels souvent contraignants.6

L’expérience de ForAfrika, bien qu’en cours, constitue une étude de cas riche d’enseignements pour le secteur des ONG africaines. Elle souligne l’importance d’une approche progressive et intégrée, de l’alignement stratégique, de l’adaptation contextuelle fine, de l’investissement continu dans les capacités humaines, et de la nécessité d’une vision à long terme et patiente. Elle met également en exergue le rôle crucial de la mesure d’impact rigoureuse et de la recherche de financements diversifiés pour soutenir ces initiatives.

En définitive, l’entrepreneuriat social représente une voie prometteuse mais exigeante pour les ONG africaines en quête de durabilité et d’autonomie. Le modèle développé par ForAfrika offre des pistes de réflexion et d’innovation intéressantes. Son succès durable et sa capacité à être répliqué dépendront de sa faculté à surmonter les complexités opérationnelles et financières inhérentes à ses ambitions, et à démontrer, données à l’appui, un impact social et économique mesurable et transformateur à grande échelle.

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Updated on 16 avril 2025