Courant Critique & Auteurs Clés : Anthropologie politique et économique du développement (Jean-François Bayart, Jean-Pierre Olivier de Sardan, G. Hyden), mais aussi des travaux valorisant les philosophies et pratiques sociales endogènes (références à l’Ubuntu, etc.). Ces approches insistent sur l’importance des pratiques réelles des acteurs, encastrées dans des contextes sociaux, culturels et politiques spécifiques, souvent en décalage avec les modèles formels importés.
Postulat / Argument Central : Les comportements économiques et organisationnels en Afrique ne peuvent être compris uniquement à travers le prisme de la rationalité instrumentale occidentale (maximisation de l’efficacité, respect des règles formelles). Ils sont profondément influencés par une “économie morale” (normes sociales sur ce qui est juste/attendu en matière d’échanges, de redistribution, d’obligations), par l’importance des réseaux de relations personnelles (familiales, ethniques, clientélistes), et par des stratégies politiques visant l’accumulation (matérielle et symbolique) et la gestion des dépendances multiples (pas seulement vis-à-vis des bailleurs). L’informel, l’hybride et le relationnel sont omniprésents.
APPLICATION / PERTINENCE POUR L’AUTONOMIE DES ONG AFRICAINES : #
Économie morale informelle (cf. Bayart) : La gestion des ressources des ONG est souvent soumise à des pressions sociales fortes pour la redistribution (emploi des proches, soutien à la communauté élargie, contributions diverses). Ce qui apparaît comme de la “mauvaise gestion” ou de la “corruption” aux yeux des bailleurs peut correspondre à des obligations morales ou à des stratégies de légitimation locale. Le “double reporting” (un discours pour le bailleur, des pratiques adaptées localement) devient une stratégie de survie dans cette tension entre normes externes et internes. L’autonomie se négocie aussi dans cette capacité à satisfaire (ou à faire semblant de satisfaire) des logiques multiples et contradictoires.
Ubuntu et financement communautaire : Au-delà des aspects potentiellement problématiques, des philosophies comme l’Ubuntu (qui valorise l’interdépendance, la solidarité, la communauté – “je suis parce que nous sommes”) sous-tendent des pratiques endogènes de mobilisation de ressources et d’entraide (tontines, travail collectif/salongo, dons communautaires, etc.). Ces mécanismes, basés sur la confiance et les normes sociales partagées, constituent une source potentielle d’autonomie réelle vis-à-vis des financements externes et des logiques importées. Ils représentent des modèles économiques alternatifs ancrés localement.
Concepts Clés / Illustrations : Économie morale, Informel, Politique du ventre, Réseaux sociaux, Clientélisme, Redistribution, Hybridité, Encastrement social (embeddedness). Ubuntu, Teranga (Sénégal), Tontines, Caisses de solidarité.
Illustration : Une ONG qui justifie difficilement ses dépenses aux yeux du bailleur mais jouit d’une forte légitimité locale car elle “joue le jeu” des obligations sociales. Ou une autre qui base sa durabilité sur un système de micro-contributions régulières de membres de la diaspora, mobilisées via des réseaux de confiance fondés sur une origine commune. Le “double reporting” comme illustration de la gestion de logiques normatives conflictuelles.
IMPLICATIONS / CONFRONTATION AVEC LES THÉORIES DOMINANTES : #
Vs RDT/Agence/TCE : Ces approches critiquent la vision aseptisée et universaliste de l’organisation et de la rationalité véhiculée par les théories managériales. Elles montrent que la gestion des ressources et la quête d’autonomie sont contextualisées et moralement chargées.
Elles complexifient l’analyse des stratégies (RDT) en montrant qu’elles sont souvent hybrides, mêlant logiques formelles et informelles, et qu’elles visent à gérer des dépendances multiples (pas seulement les bailleurs).
Elles ouvrent la voie à l’identification de modèles d’autonomie alternatifs, fondés sur des logiques sociales endogènes, souvent négligés ou même combattus par les approches standardisées du développement.